Se former, s'informer, s'entourer...

Lettre ouverte aux patients

Sophie Conrard

Nous avons reçu il y a quelques jours cette lettre ouverte adressée par l'une de vos consoeurs à ses patients. Excédée par la désinformation dont sont parfois victimes ces derniers et par la pression économique infligée par l'assurance maladie, elle se pose aujourd'hui la question du déconventionnement. Voici son texte très personnel... mais qui parlera sans doute à beaucoup ! N'hésitez pas à réagir.



Chers patients,

Il ne m’arrive pas souvent de prendre la plume mais l’injustice dont est victime ma famille professionnelle et les dangers qui menacent, comme jamais auparavant, notre système de santé me l’imposent.

Vous aurez peut-être entendu la polémique, ces derniers jours, dans les médias, à propos du rapport de la Cour des comptes montrant du doigt, entre autres, les masseur-kinésithérapeutes. Cette dernière relève plusieurs "dérives" de notre profession...

Or je suis au regret de constater que les journalistes ne redonnent qu’une information partielle, celle-là même qui sera susceptible, par l’émoi qu’elle produit, de capter l’attention de l’auditeur et d’accroître la précieuse audience, participant ainsi à la désinformation des gens, à la désinformation de nos patients en l’occurrence !

Regardons la réalité de plus près afin de "remettre l’église au milieu du village" :

* La Cour des comptes nous accuse de coûter trop cher...

Etrange, lorsque le budget des dépenses de kinésithérapie représente à peine 3 % des dépenses de la sécurité sociale.

Pour exemple, les Français dépensent chaque année 37 milliards d'euros pour acheter des médicaments, dont une bonne partie aux frais de la Sécurité sociale. Or on sait que la vente de médicaments à l'unité permettrait d'éviter d'en jeter une partie à la poubelle chaque année. D'autres pays s'y sont déjà mis : Allemagne, Grande-Bretagne... Avec la question énergético-écologique de tous ces agents chimiques produits pour rien, puis rejetés bien souvent dans la nature, ces pays ont compris depuis longtemps l’intérêt économique ! Enfin, une expérience est menée en France depuis un an, avec une centaine d'officines volontaires.

Autre exemple : le DTPolio, 3 vaccins obligatoires en France pour le nourrisson. Il ne coûte que 6,70€ mais... n’est plus produit ! Seule alternative pour les parents : l’hexavalent, unique vaccin disponible sur le marché. Un complexe de 6 vaccins dont trois non obligatoires mais imposés de fait au petit patient... Au-delà de la polémique de la liberté pour chaque individu de disposer de son corps, combien coûte à la Sécurité sociale cette petite "Ferrari" de l’industrie pharmaceutique ? Pas moins de 40 €, auxquels il faut ajouter les rappels ! Pour des coûts de production sans rapports.

Avec plus de 800 000 naissances par an en France, faites le calcul de ce qu’accepte de payer l’Etat au lobby du médicament !

On peut se demander alors, ce que représente le coût de votre séance de kinésithérapie d’une demi-heure à 17 €...

* La Cour parle aussi de fraude de la part de certains confrères qui factureraient notamment des soins non effectués. La fraude existe dans tous les domaines et il est injuste de stigmatiser une profession par le fait de quelques moutons noirs que notre système peut par ailleurs facilement repérer et notre loi facilement sanctionner si cela s’avère nécessaire. Cela tant dans l’intérêt de la profession que celui du patient.

* La Cour pointe enfin les dépassements d'honoraires qui semblent choquer les journalistes... Ha, il est vrai que dans notre société, le dépassement d’honoraire n’est pas « politiquement correct » !

Mais pouvez-vous vous rappeler que votre masseur-kinésithérapeute vous prodigue une demi-heure de soins :

- personnalisés, car il travaille avec vous exclusivement ;

- professionnels et de qualité, car il se forme et paye ses formations, car il collabore avec les différents acteurs de votre traitement dans le souci d’une prise en charge globale et pluridisciplinaire ;

- techniques, car il est équipé du matériel adapté bien souvent coûteux, auquel on peut associer ses mains expérimentées aux méthodes reconnues et validées ;

- éthiques, car il est soumis au secret professionnel, respecte un code de déontologie et a bien souvent choisi cette profession sociale et de soin par élan pour son prochain.

Payer votre masseur-kinésithérapeute 34 € bruts de l’heure pour tout cela, cela ne choque personne ?!

Quand un ostéopathe se fait verser en moyenne 50 à 70 € pour une séance allant de trois quarts d’heure à une heure, quand le taux horaire de votre garagiste varie entre 55 et 85 € de l’heure selon les départements, quand les coiffeurs voient certaines clientes de manière hebdomadaire pour une mise en pli à 25 € et quand une esthéticienne prend 60 à 70 € pour un "massage" relaxant d’une heure (que votre kinésithérapeute est le premier formé à prodiguer avec son sens du toucher et ses mains expertes – pensez-y), payer votre humble serviteur 34 € bruts de l’heure (auxquels il faudra enlever 50 à 60% de charges) aujourd’hui, ce n’est pas choquant ?!

Et je ne parle ici que des heures en vis-à-vis du patient ! Qu’en est-il des heures consacrées à la rédaction des dossiers, bilans et autres courriers, à la tenue comptable ou pire, aux heures perdues dans le dédale des instances administratives et autres Sécu ou mutuelles complémentaires ayant "oublié" de régler le tiers-payant au prestataire de soins ("Pour le standard, tapez 1...").

Encore faut-il ajouter à cela les charges engendrées par la mise en conformité des locaux suite à la loi sur l’accessibilité...

Le calcul comptable est simple : l’activité de masseur-kinésithérapeute réalisée dans les règles de l’art (à environ 35 h de vis-à-vis + 5 h de travail administratif, 1/2 h par patient, au tarif conventionné, avec 50 % de charges pour un matériel adapté et une formation continue) n’est pas viable !

Qu’en sera-t-il alors lorsque votre masseur-kinésithérapeute aura l’obligation de gérer le tiers-payant sur la part complémentaire et passera plusieurs heures au téléphone chaque semaine avec les 200 différentes mutuelles existant en France pour obtenir ses honoraires ?

Deviendrons-nous des bureaucrates plutôt que des soignants ? Où est notre vocation ?

Comment pouvons-nous encore la faire vivre et prodiguer les soins enthousiastes de qualité qui nous faisaient vibrer sur les bancs de l'école ? Cette dérive de notre système est à rendre quelque peu schizophrène...

Enfin, lorsque nous aurons glissé inéluctablement vers un système "à l’américaine" par refus des différents gouvernements d’honorer les prestataires de soins à la hauteur de leur investissement et de leur tâche, lorsque les mutuelles complémentaires seront devenues nos "employeurs" (puisque ce sont elles qui nous paieront) et lorsqu’elles nous dicteront quels soins donner à quels patients, dans leur fonds comme dans leur forme, alors, la volonté des représentants politiques de sous-payer les professionnels de santé et la généralisation du tiers-payant pourraient bien nous sembler un piège inexorablement refermé tant sur les professionnels de santé que sur tous les patients !

Il est facile de diaboliser les plus faibles et plus confortable de ne pas toucher à la vraie question des grands lobbyings de l’industrie pharmaceutique, des organismes d’assurance et de la rentabilité hospitalière !

Devant cette situation qui étouffe un peu plus chaque jour ma profession et ma pratique, parce que je ne peux me résoudre à faire des soins médiocres pour des honoraires médiocres, parce que  je ne peux envisager de perdre mon libre arbitre de professionnel diplômée et expérimentée et parce que j’ai à cœur de continuer à offrir la qualité de soins que mes patients méritent et qui m’enthousiasme quotidiennement, je me pose la question aujourd’hui du déconventionnement !

Cette possibilité de rupture avec la Sécurité sociale signifie pour le patient le non remboursement des soins, mais garantit la liberté et la reconnaissance du thérapeute et de ce fait pérennise la qualité de la prise en charge.

Afin d’étayer ma réflexion, puisqu’aucune décision n’est prise à ce jour, je vous serais reconnaissante d’accepter de répondre aux quelques questions ci-dessous, lesquelles sont anonymes et ne concerne que le cabinet.

 

Virginie Brun (73)

 

ENQUÊTE AUPRES DES PATIENTS DE KINESITHERAPIE

Question 1

Dans le cas d’un déconventionnement de votre kinésithérapeute en rééducation périnéale, le règlement des soins serait entièrement à votre charge, à savoir 25€/demi-heure, 2 fois par semaine (1 fois/semaine en fin de traitement). Dans ce cas, poursuivriez-vous votre rééducation dans ce cabinet ?

                           OUI                                                                           NON

Question 2

Seriez-vous intéressé par des ateliers d’environ 1h-1h30, en petit nombre (6 à 8 patient(e)s) sur le thème de l’entretien du périnée et de la rééducation abdominale hypopressive ? Tarif : 12€/séance.

Si oui, vous pouvez me le faire savoir par mail.

                            OUI                                                                           NON

Question 3

Avez-vous quelques réflexions, idées, souhaits quant à la prise en charge qui vous est offerte au sein de ce cabinet ? Confirmation des qualités/points forts et/ou idées d’amélioration sont les bienvenus...

 

 

Commentaires :

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OLIVIER abonné n° 10486 à écrit :(23)
C'est très joli. Mais il y a contresens, à mon avis: elle dénonce les dérives de la sacro-sainte sécu, tout en défendant ce soit-disant merveilleux système. Un bon gros syndrome de Stockholm! On est amoureux de notre propre bourreau?! La solution est dans le texte: libéralisation de l'assurance maladie, ouverture à la vraie concurrence. On gère déjà des centaines de mutuelles et des dizaines de "régimes" "obligatoires" différents (tiens, la sécu n'est donc pas universelle?!), alors on se débrouillera très bien avec quelques dizaines d'assurances maladie différentes, en concurrence, moins chères, plus généreuses et certainement plus justes pour leurs clients ET pour nous, prestataires...
abonné n° à écrit :(21)
Oui, ce témoignage est très émouvant, il reflète la difficulté de maintenir un niveau de qualité en travaillant à l'acte unique, en opposition aux cabinets "usine" où certains de nos "collègues" prennent les patients 5 par 5... L'exercice en acte unique mériterait une revalorisation pour atteindre au moins 20 euros... ce qui rattraperait partiellement notre niveau de rémunération des années 80.
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