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La dermoneuromodulation :
Une nouvelle approche dans la prise en charge de la douleur

De très nombreux exercices pratiques ont été proposés lors de la formation dispensée par Michael Reoch (à gauche) et Erik Ouellet (à droite).

Jean-Pierre Gruest
Kiné actualité n° 1514 - 24/01/2018

Mise au point en 2005 par la physiothérapeute canadienne Diane Jacobs, la dermoneuromodulation (DNM) permet d'appréhender différemment la douleur et de mieux la traiter, simplement et efficacement. Méconnue en France, elle a fait l'objet d'une formation en novembre 2017 à l'Institut national de la kinésithérapie (INK), à Paris. Découverte.



C’est à l’initiative des kinésithérapeutes Lionel Galey et Laurent Rousseau qu’une formation à la dermoneuromodulation (DNM) a été organisée début novembre à l’INK (voir photos). “Nous avons pensé que cette approche novatrice en thérapie manuelle, déjà connue outre-Atlantique, pouvait servir à nos collègues français lorsqu’ils sont confrontés à des patients souffrant de douleurs chroniques, qui représentent une forte proportion de notre patientèle”, explique Laurent Rousseau. Celui-ci a découvert la DNM en 2009 grâce au site SomaSimple [1] et son forum (en anglais), sur lequel Diane Jacobs intervient. Pour lui, “les progrès dus aux neurosciences permettent d’explorer des voies autres que médicamenteuses dans la prise en charge de la douleur. Ces progrès ont notamment pu être accomplis grâce à l’IRM fonctionnelle, qui est récente. Résultat : nous pouvons dorénavant explorer de nouveaux champs avec de nouveaux outils. Ainsi, le tout médicament tend à diminuer et de ‘nouvelles’ professions comme les kinésithérapeutes peuvent prétendre participer activement à la prise en charge de la douleur, notamment chronique”.

La douleur, un processus complexe à appréhender
La formation à la DNM a été dispensée par 2 Canadiens : Michael Reoch, massothérapeute agréé de la Colombie britannique, et Erik Ouellet, massothérapeute et ostéopathe québécois. Durant 4 jours, ils ont explicité les principes de cette approche qui reprend les principes des neurosciences de la douleur. “La douleur est un processus complexe qui dépend de facteurs contextuels, psychologiques et biologiques qui surviennent le plus souvent sans perception consciente. Elle ne peut se produire sans système nerveux central”, explique Michael Reoch. C’est pourquoi la DNM appréhende la douleur en tant que phénomène bio-psycho-social, et pas seulement d’un simple point de vue biomédical. “On considère que le système nerveux du patient doit être traité dans sa globalité, à partir des cellules du derme jusqu’au sentiment de soi”, insiste-t-il.

Acronyme regroupant dermo (la peau), neuro (le système nerveux) et modulation (un changement d’état), la dermoneuromodulation est définie par Erik Ouellet comme “une méthode de thérapie manuelle utilisée pour influencer l’état du système nerveux sensibilisé et douloureux afin de l’amener à un état moins douloureux et réactif”. Cependant, “les changements se produiront seulement si le système nerveux le décide. Donc la seule chose que peut faire le thérapeute, c’est d’essayer de l’influencer, de lui proposer des modifications”, affirme l’ostéopathe québécoise Louise Tremblay sur son site [2]. “Ce n’est pas en poussant, en craquant, en modelant qu’on va y arriver : il faut parler au système nerveux et donc apprendre son langage, utiliser les bonnes voies de communication. D’où l’importance de bien connaître la physiologie du corps humain, et particulièrement la neurophysiologie, pour arriver à faire un bon travail de thérapie manuelle.”

Lors de la prise en charge, le corps doit être positionné de façon
à dégager au maximum le réseau nerveux.

Des techniques basées sur des étirements cutanés
Pour Michael Reoch, “la DNM est davantage un concept que des techniques, bien que nous les enseignions. Celle-ci se concentrent sur le fait de tirer doucement la peau pour rendre le système nerveux plus à l’aise. Chaque traction est destinée à un nerf périphérique spécifique. Les prises doivent être lentes et soutenues, avec des degrés variables de pression, sans jamais provoquer de douleur”. “Selon la plainte du patient, nous le plaçons dans une position confortable qui expose la région que nous souhaitons traiter. L’objectif est de positionner le corps de façon à dégager au maximum le réseau nerveux et minimiser l’impact potentiel des syndromes canalaires, dans l’espoir d’obtenir un soulagement ou un sentiment de confort”, précise Erik Ouellet. “Puis nous plaçons nos mains, de préférence chaudes, à un endroit privilégié selon l’arbre neuronal que nous désirons affecter : une à l’endroit sensible pour évaluer tout changement dans sa texture, l’autre pour effectuer un étirement latéral de la peau, distale au point de tension préalablement identifié. L’idée est d’engager des mécanorécepteurs non nociceptifs afin de contrecarrer les potentiels signaux nociceptifs. Habituellement, 2 minutes suffisent pour que la manœuvre soit perçue par le système nerveux central et génère une réponse favorable !”

Un traitement par DNM efficace se traduira par la somnolence du patient, une réduction du gonflement et de l’inflammation, mais aussi une sensation de chaleur, une facilité de mouvement et un relâchement des tensions musculaires. “Le soulagement de la douleur perdure pour atteindre son apogée en général 72 h après la prise en charge”, précise Michael Reoch.

Les techniques de DNM reposent sur des étirements cutanés.
Chaque traction est destinée à un nerf périphérique spécifique.

La relation thérapeutique et l’ETP comme facteurs de réussite
L’une des spécificités de la DNM est qu’elle s’intègre dans une démarche centrée autour du patient. “L’apport psychosocial au facteur biologique de la douleur est très important. Le patient ne se résume plus à un objet de dysfonction mais redevient un individu en détresse qui veut être soulagé”, souligne Erik Ouellet. D’où l’importance de respecter “une approche douce et non menaçante : nous ne pouvons rien guérir, ni changer au niveau anatomique dans l’idée d’ajuster quoi que ce soit. Nous ne pouvons que tenter de moduler la douleur, de modifier ses symptômes. Pour cela, il faut rassurer le patient en lui expliquant notre hypothèse de traitement, notre approche et ce à quoi il peut s’attendre au cours de la séance. En aucun cas, nous devons lui servir un scénario alarmiste et induire une ambiance anxiogène. Nous devons au contraire créer un environnement de traitement le plus sécuritaire et réconfortant possible !” “Il faut faire preuve d’empathie et éduquer le patient sur la douleur car le fait de comprendre les phénomènes douloureux lui permettra de participer plus activement, et donc plus efficacement, à leur gestion”, confirme Laurent Rousseau.

Bien comprendre le rôle du système nerveux dans le processus thérapeutique
Mais en quoi consiste exactement cette formation en DNM ? Nécessite-t-elle des prérequis spécifiques ? “Même si nous abordons longuement les théories des neurosciences de la douleur et du modèle bio-psycho-social (BPS), qui sont incontournables pour bien comprendre les mécanismes de la DNM, il est préférable de connaître déjà les notions de base afin de pouvoir se consacrer pleinement à la pratique et aux différentes techniques”, répond Michael Reoch. Il considère nécessaire qu’un kinésithérapeute comprenne bien la physiologie de la douleur pour traiter avec succès un patient douloureux, “sous peine de lui rendre un mauvais service”.

Pour Erik Ouellet, “bien que les techniques proposées pour soulager la douleur se doivent d’être simples, les notions qui les entourent le sont moins du fait que la douleur est un phénomène complexe puisqu’il émerge de l’expérience humaine”. C’est pourquoi la formation s’attarde notamment à “explorer la compréhension actuelle des modèles biologiques qui nous aident à comprendre le processus de perception de la douleur” et à “développer une compréhension de l’évaluation de la douleur et des obstacles à la réhabilitation par la thérapie manuelle”. L’accent est également mis sur l’importance de la relation thérapeutique “afin que le patient soit bien au centre du processus et soit traité en tant que personne, et non comme une dysfonction ou une pièce anatomique”. “Notre objectif est que les kinésithérapeutes quittent la formation avec une meilleure appréciation du patient douloureux et comprennent bien le rôle du système nerveux dans le processus thérapeutique”, résume-t-il.

Témoignage

Jean-Luc Tesson, kinésithérapeute ostéopathe à Saint-Lô (Manche)
“J’ai entendu parler de la DNM par un confrère lors d’un stage. Étant très sensibilisé à une pratique neurologique, l’intérêt de m’y former m’a semblé évident. Ces 4 jours m’ont permis d’améliorer ma pratique manuelle et d’acquérir plus de certitudes dans le placement des mains, sur les pressions à réaliser… le tout dans une ambiance décontractée avec de nombreux échanges, bien loin des cours magistraux ennuyeux que l’on a parfois. Depuis, j’utilise la DNM au moins 10 fois par jour, en complément d’autres techniques, auprès de patients présentant des douleurs ou des limitations articulaires, soit environ 80 % de ma patientèle. Ceux qui en ont bénéficié m’ont fait des retours très positifs. Il me faudra encore quelques mois pour bien maîtriser cette méthode, mais les premiers résultats sont très prometteurs, que ce soit dans la prise en charge de pathologies rhumatismales inflammatoires, de douleurs post-opératoires ou liées à des troubles circulatoires, ou en traumatologie, entre autres. Je la recommande d’autant plus qu’elle est simple et rapide à utiliser, sans investissement matériel nécessaire, ce qui permet de la pratiquer n’importe où.”

Un nouveau regard sur les thérapies manuelles grâce aux neurosciences
“On apprend davantage à ressentir les choses plutôt qu’à appliquer des recettes”, insiste Laurent Rousseau, pour qui cette approche bouleverse certains principes de traitement : “Il faut bien comprendre que la DNM vise à agir sur le système nerveux en le stimulant sans chercher à corriger quoi que ce soit. Nos actions ne visent pas à corriger une lésion, mais à induire une réaction qui sera une diminution du ressenti douloureux.”

À l’instar de Laurent Rousseau, les stagiaires de cette première formation à l’INK n’étaient pas vraiment novices en la matière, la plupart étant déjà des habitués du site SomaSimple. “Cette expérience à Paris fut inestimable en raison de l’accueil que nous avons reçu et de la qualité des professionnels qui ont participé au stage. C’était un groupe très particulier puisqu’ils avaient tous de solides bases en neurosciences de la douleur et du modèle BPS, ce qui a leur a permis d’assimiler les principes de la DNM avec beaucoup d’aisance”, affirme Erik Ouellet. Une satisfaction partagée par les intéressés, parmi lesquels Jean-Luc Tesson (lire l’encadré ci-dessus) et Rémi Cadic. “Je connaissais déjà la DNM avant cette formation, mais ça m’a permis de confronter ma pratique avec celle des formateurs et des autres stagiaires, avec des échanges nombreux et constructifs”, explique ce kinésithérapeute ostéopathe installé à Clohars-Carnoët (Finistère). Pour lui, la DNM permet “de revisiter toutes les thérapies manuelles avec ce nouveau regard que nous apportent les neurosciences” et “seule ou associée à d’autres techniques, de diminuer, voire supprimer les douleurs, et de libérer des restrictions de mobilité très rapidement et en douceur”. “On sent en effet très vite les résultats sous nos doigts”, confirment Martine et Marc Lecointe, kinésithérapeutes ostéopathes à Mézidon-Canon (Calvados).

Une nouvelle formation à l’INK en juin 2018
Masseur-kinésithérapeute à Dole (Jura), Guillaume Thierry pratique également la DNM depuis quelques temps. “Le premier motif de consultation de nos patients n’est pas tant de soigner une pathologie médicale que de trouver une solution à la symptomatologie qui en découle, à savoir la douleur, dans la majorité des cas. Or je me suis vite heurté aux limites du modèle biomédical pour traiter mes patients douloureux, notamment chroniques. J’ai donc engagé une réflexion personnelle pour faire évoluer ma pratique et mon raisonnement clinique. Pour ce faire, j’ai consulté les travaux d’auteurs sur le thème de l’approche biopsychosociale en rééducation, et c’est à cette occasion que, parmi d’autres concepts ou méthodes de thérapie manuelle, j’ai découvert la DNM”, raconte-t-il.

Il considère cette approche comme “une porte d’entrée pour la relation thérapeutique et la rééducation. Elle permet de trouver très rapidement et simplement une modulation des douleurs chez les patients souffrant de douleurs persistantes, d’hyperalgies, d’allodynies, etc. Même s’il peut être de court terme, ce bienfait permet de mettre en place des techniques éducatives ou actives”. Il apprécie également le fait que le concept de DNM n’exclut pas les autres techniques que celles présentées dans l’ouvrage de Diane Jacobs, Dermo Neuro Modulating: Manual Treatment for Peripheral Nerves and Especially Cutaneous Nerves (Kindle Edition) : “On peut utiliser des techniques similaires à celles réalisées en thérapie manuelle orthopédique, neurodynamique, etc. Seule change la justification de la technique, où l’on oublie le côté mécanique pour parler de modulation d’une entrée sensorielle au niveau cutané afin d’espérer induire un changement au niveau du système nerveux central.”

Devant le succès de cette première formation, une prochaine a été programmée à l’INK, du 4 au 6 juin prochain [3].

[1] somasimple.com/forums/
[2] dermoneuromodulation.fr
[3] Rens. et inscription : INK - ink-formation.com - 01 44 83 46 71 - secretariat@ink-formation.com

© D.R.
© J-P. Gruest/Kiné actualité

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