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«S'organiser et être proactifs ensemble pour répondre à la demande croissante et maîtriser notre filière»

Sophie Conrard
Kiné actualité n° 1562 - 26/03/2020

Le Collège national de la kinésithérapie salariée (CNKS) s'intéresse depuis longtemps à la question de nouveaux métiers pour recentrer l'activité du kinésithérapeute sur les actes à forte plus-value dans un contexte chronique de difficulté de recrutement de masseurs-kinésithérapeutes à l'hôpital. Pour faire suite à l'article publié dans le Ka n°1561, nous avons sollicité son président, Pierre-Henri Haller.



Kiné actualité : Serait-ce une bonne ou une mauvaise idée de créer des aide-kinés ?

Pierre-Henri Haller : Ce n’est pas une bonne ou mauvaise idée, ce n’est pas non plus une bonne ou mauvaise question. C’est un sujet de fond récurrent depuis le début des années 2000 ; un sujet pluriel et multifocal dans ses causes, déterminants et éventuelles solutions ainsi que dans leurs conséquences. Ce sujet est d’autant plus sensible, polémique, que pour le CNKS, l’ensemble de ses facteurs et déterminants [1] ne sont pas forcément clairement exposés, ou suffisamment explicites, ou suffisamment connus dans les propos et propositions avancées par les uns et les autres.

Le projet présenté par le CNOMK (qui a le mérite d’exister) doit faire l’objet d’une coconception et d’une co-élaboration avec les différentes représentations, sur la base de traces qui sont encore à partager et à coconstruire. C’est en tout cas un sujet et un projet qui, d’après les bribes que nous connaissons, ne font pas consensus entre les organisations à ce jour, mais méritent d’être poursuivis avec sérénité.

Doit-il concerner et s’appliquer ou être applicable à tous les métiers et modes d’exercice de la profession ?
Concerner certainement, pour en conserver l’unité, mais en respecter la diversité. S’appliquer ou être applicable est un autre angle : il appartient avant tout aux représentations libérales de se prononcer sur cette question en regard de l’exercice libéral. Mais peut-on imaginer que, la solution restant à trouver, l’injonction européenne d’exercice partiel ne trouve légalement de “débouché” et application que dans le secteur hospitalier, créant ainsi une obligation fléchée de mode d’exercice jusqu’alors jamais admise par l’ensemble des composantes de la profession ? La ferme opposition de principe de certains nous semble mériter d’être revue, afin d’éviter qu’une solution élaborée par la seule administration ne finisse par nous être imposée.

Quelle serait la formation des aide-kinés ?
Au CNKS, il nous paraît possible de concilier toutes les injonctions préalablement énoncées [1] en ne traitant pas isolément ce sujet, mais en l’envisageant de façon systémique dans un projet de “carrière curriculaire” [2], c’est-à-dire en traitant de l’amont, de l’aval et surtout de la diversification. C’était le sens de l’intervention du CNKS au colloque organisé par le CNOMK en 2019 et de la table ronde organisée lors des Journées nationales de la kinésithérapie salariée (JNKS) à Lyon en 2019.

Cela fera de nouveau l’objet de communications aux JNKS cette année [3] et dans les semaines à venir. Notre conseil d’administration aura à valider cette proposition de projet curriculaire en cours de finalisation et déjà partiellement présentée lors de la réunion à l’Ordre le 26 février.

Pour le CNKS, il faut avant tout poser la question du “pour quoi” en 2 mots. De même, du “pour qui” et donc élargir la question de l’éventuel bénéfice, au-delà de la profession, à d’autres professions alliées, aux prescripteurs, aux bénéficiaires… Ce que Thomas Rulleau, kinésithérapeute hospitalier en gérontologie et PhD, énonce bien : “la question devrait être : quel(s) service(s) aux patients pour quel(s) niveau(x) de compétence(s) nécessaire(s) ?”

Dans ce cadre, le CNKS ne retient pas le terme d’aide. Nous estimons ambiguë, voire risquée pour la profession socle et ses métiers, l’éventuelle création d’une nouvelle formation, parallèle, conduisant à un diplôme d’aide et qui disposerait d’actes délégués à partir de la liste de ceux du masseur-kinésithérapeute. Notre proposition consiste plutôt à envisager, au sein même du cursus, la délivrance aux étudiants ayant validé le premier cycle du cursus de formation initiale (c’est-à-dire au bout de 3 ans) d’une attestation de type “capacité de technicien physiothérapeute” qui aurait capacité à effectuer une partie des actes de masso-kinésithérapie, selon des modalités à définir. Cette dernière pouvant, pour répondre aux problématiques de libre circulation, être accordée aux possesseurs de diplômes étrangers non reconnus comme équivalents au diplôme français. Cette capacité, qui idéalement devrait être provisoire, transitoire, permettrait, dans un périmètre précis et selon des modalités (par délégation, en 2e intention après une 1re intervention du masseur-kinésithérapeute, sous la responsabilité du cadre de santé à l’hôpital ?…) restant à définir, de façon consensuelle dans la profession (massage, mobilisations simples, balnéothérapie, activité physique adaptée… ?), un exercice partiel tant aux étudiants qu’à ces professionnels à diplômes étrangers. Charge aux bénéficiaires de ce niveau intermédiaire d’acquérir, dans les 3 à 5 ans maximum, le niveau total du diplôme de masseur-kinésithérapeute qu’il conviendrait peut-être de rebaptiser.

Parallèlement, et ce sont donc 2 sujets distincts mais connexes, il convient de reconnaître, mieux encadrer et valoriser la situation très fréquente des aide-soignants qui contribuent au quotidien à la prise en charge des patients en rééducation à l’hôpital ou en SSR. Le CNKS propose que soit créé, dans le seul secteur salarial, le métier d’assistant en soins de rééducation, accessible aux aide-soignants, sous réserve d’un minimum d’ancienneté et d’une formation complémentaire en rééducation, à l’instar des assistants de soins de gérontologie [4].

Aide-kiné, technicien physiothérapeute, assistant en soins de rééducation… Comment s’y retrouver ?
À  ce stade, une distinction entre profession et métier est nécessaire pour clarifier les choses.

Une profession, au sens étymologique et sociologique du terme, désigne une activité socialement organisée et reconnue. Elle s’inscrit juridiquement dans un cadre triplement réglementé en termes de formation, de certification/protection du diplôme et d’autorisation d’exercice par l’énoncé d’actes possibles par les professionnels eux-mêmes. Un métier constitue un genre d’occupation, des activités concrètes liées à des savoir-faire en situation. Par exemple, la profession de kinésithérapeute est unique et constituée de différents métiers, comme celui de kinésithérapeute salarié ou de kinésithérapeute libéral. L’assistant en rééducation serait donc un métier par délégation de tâches contributives aux actes des masseurs-kinésithérapeutes ; le technicien en physiothérapie serait une fonction transitoire à l’intérieur de la profession.

Pour le CNKS, les fonctions d’assistant de soins de rééducation et de technicien de physiothérapie ne peuvent et ne doivent être d’une quelconque façon en concurrence ou risque de substitution. C’est la définition de délégations de tâches (et non d’actes) pour l’assistant en soins de rééducation qui doit le permettre. C’est la délégation provisoire d’actes pour le technicien physiothérapeute qui doit le permettre.

Que propose le CNKS ?
Le sujet de fond, encore une fois récurrent et sur lequel le CNKS avait déjà travaillé, lors de son congrès d’Annecy en 2009 [3], ne peut être ignoré. Nous estimons que certaines propositions visant à “sauver la kinésithérapie hospitalière” par l’accès facilité des confrères libéraux à des vacations ne sont pas la bonne réponse et ne sont pas réalistes, du fait de la difficulté de certains collègues libéraux à répondre à la demande dans certaines zones. Nous pensons préférable le recours contrôlé, quantifié, à juste quotité, à des assistants de soins de rééducation qui permettront aux masseurs-kinésithérapeutes salariés de se centrer sur les actes à forte plus-value en raison de leur niveau de formation, et à des techniciens en physiothérapie pour des complémentations de traitements initiés par les masseurs-kinésithérapeutes.

La qualité des soins n’aura pas à souffrir d’une diversification de cette offre si cette dernière est bien graduée en termes de services aux bénéficiaires, correspondant à des niveaux de compétences au sein des acteurs d’une filière en physiothérapie bien pensée. Elle éviterait même ce que certains appellent les glissements (inopinés) de tâches et autres invasions non contrôlées de nouveaux métiers sur des champs de la kinésithérapie, et offrirait une visibilité aux actes à forte valeur ajoutée.

Le CNKS insiste sur la nécessité de mener parallèlement la réflexion sur le technicien en physiothérapie et le masseur-kinésithérapeute de pratique(s) avancée(s) qui, a contrario d’une idée répandue, n’entraînerait pas un blocage du Master 2 pour le DE mais au contraire un effet de levier.

Le CNKS propose à l’ensemble des composantes de la profession de “s’organiser et être proactifs ensemble pour répondre à la demande croissante et maîtriser notre filière” et affirme l’utilité pour la kinésithérapie salariée de coconstuire, au sein de la profession, une filière en 3 dimensions.


[1] Démographie générale, libre circulation et injonction européenne d’exercice partiel, démographie de la population dont vieillissement et polypathologies, diversification de l’offre de soins, explosion de la demande de soins et de l’attente populationnelle, diversification accrue des aspirations professionnelles… Dans les établissements, difficulté de recrutement plus que pénurie, souci de fidélisation plus que d’attractivité, sans oublier les coûts de formation initiale qui induisent peu ou prou le choix du mode d’exercice.

[2] Ce projet curriculaire présente tant la reconnaissance d’un assistant en soins de rééducation, à l’instar de l’assistant en soins de gérontologie, issu de l’aide-soignant avec formation complémentaire (situation fréquente sur les plateaux de rééducation hospitaliers), que celle d’un technicien en physiothérapie à niveau L3, et celle du masseur-kinésithérapeute (qu’il conviendrait de renommer physiothérapeute, voire cinésiologue-physiothérapeute) à niveau Master 2, et les cursus post-gradés de cadre de santé, de pratique(s) avancée(s) en réadaptation, et de doctorat conduisant à des postes hospitalo-universitaires et/ou HDR.

[3] Plus d’infos sur www.cnks.org

[4] Plus d’infos sur www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr

© D.R.

Commentaires :

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KARIM abonné n° 3612 à écrit :(122)
Si Un on veut réellement avancer, on se doit d’avoir une rémunération correcte qui de toute évidence permettrait d’avoir le nombre suffisant de kinésithérapeute, créer des aides ou des techniciens amputerait sur les budgets qui permettrait peut-être à un moment donné de recruter des kinésithérapeute, c’est encore une fois ouvrir la porte de pandore. Si on devait faire un parallèle avec les médecins, il n’existe pas d’aides médecins, et ceux ci ont demandé auprès du ministère de la santé une augmentation et une revalorisation de leur salaire avec une augmentation du numerus clausus.
abonné n° à écrit :(115)
L'avenir des aides kiné semble tout tracé : Palier au manque de professionnels dans les hôpitaux et les CRF et remplacer les assistants dans les gros cabinet-usines qui fleurissent un peu partout. Imaginez l'aubaine : Un assistant qui ferait 35h/semaines pour 1500€/mois (voire moins...)
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