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Que peuvent apporter les patients aux professionnels de santé et à leurs pairs ?

Ève Gardien, Samir Boudrahem
Kinésithér Scient 2022,0643:01 - 10/06/2022

Le patient est souvent considéré comme un consommateur de soins. Pourtant, il n’est pas uniquement cela, pas plus qu’il n’est un simple malade pris en charge. Le patient est un acteur essentiel du soin. Depuis les années 2000 en France, les orientations des politiques publiques (loi 2002, loi HPST, loi Santé, etc.), les activités de divers acteurs institutionnels (dont la HAS), professionnels engagés ou associations de patients valorisent et facilitent l’engagement des patients en santé.

Dans le cadre de l’appel à une démocratie sanitaire, la loi du 4 mars 2002 a instauré de nouveaux droits, rôles et responsabilités du patient. Cette loi impulse une double implication du patient. À un niveau individuel, chaque patient a le droit à une information complète et de qualité sur son état de santé et à connaître les options diagnostiques et thérapeutiques à disposition, afin de pouvoir exercer de façon éclairée son droit à consentir ou au contraire à rejeter un examen médical ou encore un traitement.

Au niveau collectif, la loi 2002 a créé le statut de représentant des usagers. Ces représentants sont membres d’associations agréées de patients et est mandaté dans ce cadre pour porter une perspective transverse élaborée collectivement entre patients dans diverses instances du secteur sanitaire ou des territoires. Le représentant des usagers peut aussi exercer des fonctions d’observation, de recueil d’information sur les pratiques et le fonctionnement, de médiation, contribuer à la définition des politiques de santé, prévenir les événements indésirables ou encore lutter pour l’effectivité des droits des patients.

L’empan d’action légiféré pour les patients au sein du système de santé est donc vaste. Les instances de consultation, information, co-construction, se multiplient : Commission des usagers (CDU), Conseil de surveillance (CS), Commission médicale d'établissement (CME), Comité technique d'établissement (CTE), Comité de développement durable, Comité d'éthique, Comité de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN), Comité du médicament et dispositifs médicaux (CMDMS), mais aussi Conseil locaux de santé (CLS), Conseils locaux de santé mentale (CLSM), Maison des usagers, Conférence régionale de santé et de l’autonomie (CRSA), Ateliers Santé Ville, Contrats territoriaux de santé, Projet régional de santé, Projet territorial de santé mentale, etc. Cette liste est loin d’être exhaustive.

En outre, d’autres types d’engagements des patients se développent : le « patient-expert » participe à l’Éducation Thérapeutique du Patient (loi HPST), le « patient ressources » soutient divers dispositifs par ses contributions et facilite leur constitution et leur mise en œuvre, le « patient partenaire » s’implique là où des professionnels ou des institutions le sollicitent, le « pair-aidant » ou le « médiateur de santé pair » soutient d’autres personnes traversant des épreuves de santé mentale et partage ses savoirs expérientiels, le « patient-enseignant » ou le « patient formateur » participe à dispenser des contenus dans les universités de médecine, les formations paramédicales, etc. Sans compter le récent développement de la participation aux soins dans un cadre collectif au sein des établissements et services de médecine physique et de réadaptation, à l’initiative des soignants, et faisant la part belle au soutien informel entre patients.

La participation des patients au système de santé n’est donc pas une tendance marginale mais un vrai courant de fond [Bousquet, Ghadi, 2017 ; Routelous, 2008]. Ma santé 2022, les nouvelles modalités de certification des établissements de santé, les recommandations de la HAS sur l’engagement des usagers dans les secteurs d’activité du soin, du social et du médico-social modifieront probablement en profondeur le système de soins français.

Ce dossier spécial se déclinera sur deux numéros. Ce premier numéro abordera un enjeu majeur de ce changement souhaité dans l’implication des patients : les savoirs expérientiels. En effet, au-delà de ce qui est communément appelé « l’expérience patient » – ensemble de données récoltées à des fins d’évaluation des parcours de soin et de l’offre de soin –, les savoirs expérientiels des personnes vivant avec une maladie chronique, des troubles de santé mentale ou encore vivant des situations de handicap, permettent l’établissement de relations de pairité [Gardien, 2022] et l’élaboration de savoirs utiles et sur-mesure pour une meilleure qualité de vie au quotidien. Cet enjeu majeur sera expliqué et déployé dans l’article d’Ève Gardien.

Qui dit savoir, dit possible expertise. Celle des patients et usagers est aujourd’hui prise très au sérieux par la HAS. Elle est d’ailleurs clairement distinguée de la contribution des parties prenantes (cf. Charte de l’expertise sanitaire, 2013). Cette considération apportée à l’expertise des usagers prend notamment forme dans le cadre d’une expérimentation démocratique au sein de la HAS : le Conseil pour l’engagement des usagers en santé. Christian Saout présentera cette initiative et ses travaux à la portée tant interne qu’externe.

L’article de Paul-Fabien Groud s’attache à décrire de façon circonstanciée les pratiques de soutien entre pairs mises en œuvre par une association de personnes amputées sur le territoire français. Son propos permet de se faire une bonne idée de l’empan des pratiques possibles – en services de MPR, en milieu ordinaire et sur Internet – et de leur utilité concrète pour les personnes nouvellement amputées comme pour les professionnels de santé.

Viennent ensuite trois articles abordant la question des apports des patients dans les parcours de soin. Le premier article est celui de Dominique Gutiez. Elle y propose une analyse de son expérience de patiente et montre clairement combien la rencontre d’autres patients et leur soutien informel lui a permis un important travail émotionnel nécessaire à son inscription dans une vie où le handicap s’est imposé brutalement.

Le second article est celui de Sabine Lionnard-Réty. Cette dernière se fonde sur son expérience professionnelle d’ergothérapeute ayant travaillé dans divers milieux sanitaires et médico-sociaux. C’est en tant que professionnelle qu’elle analyse les apports constatés des usagers pour leurs pairs. Elle explicite également comment en tant que professionnelle, elle a pu utiliser à bon escient les relations de pairité.

Le troisième article est celui de Jean-Luc Blaise. Cette fois-ci, c’est le point de vue d’un patient impliqué dans une pratique régulière d’ETP en tant que patient-expert qui est présenté. Il y montre à la fois la spécificité de ses apports vis-à-vis des patients, mais aussi sa contribution auprès des professionnels.

Enfin, un article vient questionner les changements de posture professionnelle induit par une autre considération accordée au patient. Sandy Richard, masseur-kinésithérapeute, a mené une enquête de nature sociologique sur un forum Internet d’une association de grands brûlés. L’analyse du matériau recueilli l’a amené à découvrir le cœur des expériences de la vie quotidienne de personnes gravement brûlés, les problèmes rencontrés et les solutions inventées pour y faire face. L’auteure termine en explicitant en quoi ce travail sociologique l’a amené à modifier sa posture professionnelle de masseur-kinésithérapeute.

Ève GARDIEN
Maître de conférences en Sociologie, Université de Rennes

Samir BOUDRAHEM
Sociologue, IFMK, ISTR Université Lyon 1

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