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Sensibilités, sensorialités et sensations : une place à reconquérir en rééducation/réadaptation

Samir Boudrahem
Kinésithér Scient 2025,0676:01 - 10/06/2025

L’Homme est fait pour bouger, c’est pour ainsi dire dans son ADN. Son instinct grégaire le conduit naturellement à interagir avec ses semblables. La neurophysiologie moderne confirme que tout acte moteur démarre de la périphérie. En effet, pour élaborer un influx nerveux moteur pertinent et adapté à une situation donnée, le cortex cérébral a besoin de recueillir, traiter et comparer un grand nombre d’afférences, d’origines corporelles comme environnementales, dont le poids est variable mais toujours essentiel [1].

Pourtant, dans les pratiques masso-kinésithérapiques, les dimensions des sensibilités, sensorialités et sensations sont encore trop souvent mises au second plan. Les afférences pourraient, et devraient, être mobilisées comme des leviers thérapeutiques puissants pour atteindre des objectifs variés : amélioration de la motricité, de l’indépendance fonctionnelle, ou encore de la qualité de vie [2].

Les raisons de cette sous-utilisation sont nombreuses et enchevêtrées. Les afférences sont, par nature, invisibles, ce qui complique leur appréhension clinique. Par ailleurs, leur place dans les formations initiale et continue reste marginale. Elles peinent ainsi à s’imposer dans les esprits des thérapeutes comme une entité préalable et indispensable à toute rééducation ambitieuse [3].

La manière même dont les masseurs-kinésithérapeutes conçoivent leur rôle, souvent centré sur des problématiques musculo-squelettiques, freine l’exploration de nouvelles niches telles que la rééducation des dysosmies. Pourtant, des recherches ont démontré la pertinence du modèle masso-kinésithérapique pour améliorer les capacités olfactives des personnes présentant cette déficience [4, 5].

La profession gagnerait en légitimité, et renforcerait son rôle dans les enjeux contemporains de santé publique, si elle adoptait des approches véritablement holistiques. Il s’agirait alors d’intégrer pleinement les afférences, efférences, et l’ensemble des interactions entre individus et environnement dans une vision écologique du soin.

Dans cette première partie de ce numéro spécial, je traiterai de la nécessité de définir clairement les concepts, et proposerai un détour historique sur l’évolution des techniques rééducatives mobilisant sensibilités, sensorialités et sensations.

Serge Mesure et Najib Abi Chebel souligneront l'importance d'une réhabilitation qui tient compte des inégalités de traitement des informations sensorielles des personnes soignées.

Khelaf Kerkour mettra en lumière l’importance de la proprioception après reconstruction du ligament croisé antérieur.

Marine Brika et France Mourey, quant à elles, aborderont la problématique cruciale de la prise en soin de la fragilité de la fonction d’équilibre en rééducation gériatrique.

Éléonore Durand témoignera de l’impact positif d’une rééducation multisensorielle sur la qualité de vie des personnes âgées.

Enfin, Camille Ferdenzi-Lemaitre relatera l'efficacité de la rééducation olfactive par exposition répétée aux odeurs, dont les masseurs-kinésithérapeutes peuvent entièrement s'en saisir.


 

[1] Proske U, Gandevia SC. Kinesthetic senses. Compreh Physiol 2018;8(3):1157-83.
[2] Han J et al. Proprioceptive training and functional recovery: A review of recent evidence. Front Physiol 2024;15:1309161.
[3] Barrett R et al. Teaching somatosensory function in rehabilitation: Gaps in curricula. Physiother Theory Pract 2023.
[4] Sorokowska A et al. Efficacy of olfactory training: A systematic review and meta-analysis. Eur Arch Oto-Rhino-Laryngol 2024;281(1):23-34.
[5] Liu DT et al. (2023). Olfactory dysfunction and rehabilitation: Current concepts and future perspectives. Front Neurol 2023;14:1193406.

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