La formation initiale des kinésithérapeutes en France s'inscrit encore majoritairement dans le paradigme biomédical, fondé sur une vision objectivante du corps héritée du rationalisme cartésien. Si cette approche a permis de grandes avancées en physiopathologie et en efficacité technique, elle montre aujourd'hui ses limites face à la complexité du vécu des patients, à la chronicité des troubles, et aux pathologies non spécifiques.
Le modèle biopsychosocial, censé répondre à ces limites, peine à s'imposer comme un véritable changement de paradigme. Trop souvent appliqué comme une simple addition de facteurs, il ne modifie pas la conception fondatrice du corps comme objet à réparer. Face à ce constat, une approche phénoménologique du soin offre une alternative efficace, recentrant la kinésithérapie sur le corps vécu, la subjectivité, et la relation thérapeutique. En s'appuyant sur les travaux de Merleau-Ponty, Varela ou Morin, nous proposons de repenser l'acte de soin à partir de principes tels que l'intentionnalité corporelle, l'intercorporéité et la cognition incarnée.
Nous explorons dans cet article les conséquences cliniques, pédagogiques et politiques de ce basculement : dévalorisation du toucher, fragmentation des pratiques et crise identitaire de la profession. Il s'agit de plaider pour une refonte du cadre de formation, une reconnaissance des approches qualitatives et une revalorisation des dimensions relationnelles du soin.
Enfin, nous proposons d'intégrer une « voie moyenne » entre objectivité scientifique et subjectivité vécue dans les référentiels de formation et les politiques de santé. La kinésithérapie, malgré les limites imposées par le système de santé publique, doit sans doute réajuster le curseur de son intervention entre une base scientifique, incontournable, et un soin incarné, sensible, qui donne du sens.

RECONCILING SCIENCE AND SUBJECTIVITY:
the contribution of phenomenology to physiotherapy practice
The initial training of physiotherapists in France is still largely based on the biomedical paradigm, founded on an objectifying view of the body inherited from Cartesian rationalism. While this approach has led to major advances in physiopathology and technical efficiency, it is now showing its limitations in the face of the complexity of patients' experiences, the chronic nature of disorders, and non-specific pathologies.
The biopsychosocial model, which is supposed to address these limitations, is struggling to establish itself as a genuine paradigm shift. Too often applied as a simple addition of factors, it does not change the fundamental conception of the body as an object to be repaired. In light of this observation, a phenomenological approach to care offers an effective alternative, refocusing physiotherapy on the lived body, subjectivity, and the therapeutic relationship. Drawing on the work of Merleau-Ponty, Varela and Morin, we propose to rethink the act of care based on principles such as bodily intentionality, intercorporeity and embodied cognition.
In this article, we explore the clinical, educational and political consequences of this shift: the devaluation of touch, the fragmentation of practices and the identity crisis facing the profession. We argue for an overhaul of the training framework, recognition of qualitative approaches and a re-evaluation of the relational dimensions of care.
Finally, we propose integrating a ‘middle ground' between scientific objectivity and subjective experience into training frameworks and health policies. Despite the limitations imposed by the public health system, physiotherapy must undoubtedly readjust the balance between its essential scientific basis and embodied, sensitive care that gives meaning.