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60e anniversaire de la FFMKR :
Une histoire, des réussites et des défis à relever

Sébastien Guérard, président de la FFMKR.

Sophie Conrard
Kiné actualité n° 1633 - 01/06/2023

La Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR, principal syndicat représentatif de la profession), s'apprête à fêter ses 60 ans lors d'un congrès à Paris, du 16 au 18 juin. L'occasion de faire le point avec son président, Sébastien Guérard, sur le contexte de cet événement et les projets de la Fédération.



Kiné actualité : Dans quel contexte et quel état d’esprit la FFMKR s’apprête-t-elle à fêter ses 60 ans ?

Sébastien Guérard : Initialement, nous envisagions cet événement sous l’angle festif. Nous sommes fiers de cette ancienneté et de l’expérience qu’elle nous a permis d’accumuler, de notre histoire, de nos réussites. Toutes les organisations professionnelles n’ont pas cette chance. Nous étions sur le point de conclure un cycle de négociations en signant l’avenant 7, qui allait apporter beaucoup à la profession (malgré certaines concessions) et nous souhaitions marquer le coup. Depuis, nous avons connu plusieurs déceptions significatives : les 2 autres syndicats se sont opposés à l’avenant, la loi Rist sur l’accès direct a été vidée de sa substance, les kinésithérapeutes voient leurs revenus stagner et subissent le poids de l’inflation (comme tout le monde)... Cependant, nous redoublons d’efforts dans cette période et multiplions les rendez-vous avec la Cnam, le ministère de la Santé et très prochainement, à Matignon et à l’Élysée, pour créer les conditions favorables à une reprise des négociations.

Quel regard portez-vous sur les 60 ans qui se sont écoulés ?
Je suis assez admiratif de tout ce qui a été construit, quand je regarde d’où la profession est partie et où elle en est aujourd’hui. Sans la Fédération, par exemple, il n’y aurait peut-être jamais eu de convention avec l’assurance maladie et les kinésithérapeutes seraient de simples exécutants dans les centres de rééducation... Ou nous aurions une convention “allégée” comme les pédicures-podologues, ce qui n’aurait pas été satisfaisant. Même chose pour notre régime de retraite : malgré ce que certains croient, il fonctionne plutôt bien et le niveau de nos pensions est plutôt correct par rapport à notre niveau de cotisations, en comparaison avec les salariés ou les artisans-commerçants.

En interpro, la FFMKR a contribué à la naissance de l’Unapl et donc du FIFPL, ce fonds auquel chacun peut puiser pour se former. Elle a par ailleurs beaucoup contribué à la réforme de la formation initiale, qui est passée de 2 ans lorsque la Fédération a été créée à 5 ans aujourd’hui, avec une reconnaissance sur le plan universitaire.

En 60 ans, la profession est passée du statut “d’agent exécutant” (nous étions des gymnastes médicaux ou des hydrothérapeutes) à celui d’ingénieur qui construit son diagnostic et son traitement, accessible en accès direct (même si la loi Rist reste très insuffisante sur ce point). Elle s’est affranchie de la tutelle du médecin.

Et sur les années de votre présidence ?
Elles sont passées à une vitesse folle ! La crise sanitaire n’y est pas pour rien : j’ai été élu en novembre 2019 et quelques mois plus tard, elle a bouleversé notre programme. Puis il y a eu une élection présidentielle, en amont de laquelle nous avons interrogé les candidats sur leur programme pour le monde de la santé, et une crise économique, pour ce qui est du contexte général. Pour ce qui est de l’actualité de la profession, j’ai piloté une campagne pour les élections aux URPS (unions régionales des professions de santé) en 2021, une campagne pour les élections à notre caisse de retraite, la Carpimko, en 2022 (deux échéances électorales importantes pour notre profession, dont la FFMKR est sortie en tête). En interne, l’un de mes principaux chantiers a été la réforme des statuts de la Fédération, qui a nécessité beaucoup de travail et de réflexion.

Avec les membres du bureau national, nous avons œuvré sans relâche pour reconstruire notre réseau institutionnel et notre puissance de lobbying, mais aussi pour redonner de l’éclat à l’image de la Fédération, qui a été écornée par le passé. Je crois pouvoir dire que nous avons réussi car aujourd’hui, nous avons nos entrées partout et l’oreille des ministres, même si cela ne se traduit pas forcément par des résultats visibles de tous : il y a un important “travail de l’ombre” dont on n’est pas forcément conscient de l’extérieur. Mais certains résultats commencent à être tangibles : lors des précédentes négociations conventionnelles, par exemple, nous avions réussi à obtenir une enveloppe de 530 millions d’euros. C’est peut-être insuffisant mais c’est historique ! Par comparaison, l’enveloppe était de 280 millions pour l’avenant 3 signé en 2012.

J’ai par ailleurs profité de ma présidence pour participer activement et être moteur de la refonte complète des relations interprofessionnelles, avec notamment la création des Libéraux de Santé (LDS) en septembre 2021, regroupant les 10 principales organisations des professions de santé et dont je suis le président également. Une petite révolution !

Quels sont vos prochains objectifs ?
Ce sera de reconstruire ou rénover le système conventionnel, qui est à bout de souffle. Nous traversons une crise de confiance envers tous les politiques, au sens large, envers tous ceux qui ont du pouvoir, et cette crise profite aux extrêmes et aux populistes, au sein de notre profession comme en France de manière générale. Notre souhait serait de rebâtir un système qui permette de restaurer la confiance et de redonner de l’espoir aux kinésithérapeutes.

Actuellement, nous n’avons droit qu’à une négociation conventionnelle tous les 5 ou 6 ans. C’est peu. Lorsqu’un nouveau cycle de discussion s’ouvre, les attentes sont très fortes… et l’atterrissage parfois violent. Entre ce qu’espèrent les syndicats et le texte proposé à la signature, il y a des déceptions.

Par ailleurs, nous sommes nombreux. C’est l’une des forces de notre profession, qui assure un maillage du territoire relativement homogène, mais ce n’est pas un atout lorsqu’il s’agit de négocier avec l’assurance maladie car cela implique des dépenses importantes.

Certains disent que le modèle fédéral est lourd donc peu réactif, compliqué à piloter par rapport à une structure où le pouvoir est plus centralisé. Qu’en pensez-vous ?
Ce socle départemental, c’est notre ADN et notre force. Et c’est le système le plus démocratique qui soit. Toutes nos décisions sont portées par notre base. Lorsque nous avons réfléchi à une réforme de nos statuts, l’an dernier, dans le but d’être plus réactifs dans nos prises de décisions, il n’était pas question de renier notre ADN. Nous avons simplement mis en place, par exemple, la consultation en visioconférence et le vote électronique, que nous n’aurions pas eu l’idée de pratiquer de façon courante avant la crise sanitaire. Nous conservons ainsi notre proximité avec le terrain.

Dans quelle situation se trouve la FFMKR aujourd’hui ? Peut-on dire qu’elle a su se moderniser, au fil des années ?
La Fédération se porte bien. Son nombre d’adhérents est en progression constante depuis 3 ans (elle en compte aujourd’hui un peu plus de 5 000). Elle bénéficie d’une véritable aura sur le plan interprofessionnel et institutionnel, à un point inédit depuis une dizaine d’années. Nous travaillons en contact très étroit avec le gouvernement, les députés, la Cnam...

En parallèle, la Fédération a su se moderniser pour répondre à des demandes de ses adhérents. Nous avons par exemple mis en place un comité d’entreprise pour les professionnels libéraux (Comitéo), ainsi que des rendez-vous qui remportent un succès croissant : “les jeudis de la Fédé”, qui attirent au moins 50 personnes à chaque fois (ils sont ouverts à tous, pas seulement à nos adhérents) et portent sur des sujets variés, des masterclass mensuelles pour former les cadres syndicaux... Nous avons créé une plateforme d’aide juridique ainsi qu’une aide à la cotation dans laquelle nous nous engageons (c’est-à-dire que si jamais une CPAM réclame des indus à un professionnel, la Fédération les paye et paye les frais de procédure). Nous avons également modernisé notre communication.

Nous encourageons la parité, sans l’imposer pour l’instant. Sur ce plan, on progresse lentement mais sûrement.

Nous avons modernisé le fonctionnement du conseil fédéral, avec 2 séminaires délocalisés par an, dans un département qui en fait la demande. Les membres du bureau s’efforcent d’être présents le plus souvent possibles lors des soirées organisées par les syndicats départementaux. Nous allons d’ailleurs relancer notre projet de “tour de France” qui avait pris du plomb dans l’aile au moment du Covid. Ça n’a pas été simple de relancer la machine après la crise sanitaire. Organiser un événement en présentiel est beaucoup plus difficile qu’avant. Heureusement, j’ai l’impression qu’en 2023, la tendance est meilleure sur ce plan.

La Fédération s’appuie notamment sur un groupe de “sages”. Qui sont-ils ? Quel est leur rôle ?
Ce sont d’anciens présidents ou membres du bureau national de la FFMKR, qui lui sont fidèles et disposent d’une certaine expertise. Ce sont aussi des hommes qui ont toujours mis de côté leurs intérêts personnels pour défendre ceux de la Fédération et plus largement, de la profession. Ils sont 6 : Fanny Rusticoni, Alain Bergeau, Alain Poirier, François Maignien, Patrick Corne et Christian Chatry. Nous sollicitons les sages sur certains sujets. Ils ont par exemple énormément travaillé sur la réforme de nos statuts. Leur ancienneté leur permet de nous mettre en garde, à juste titre, contre des dispositions qui pourraient être tentantes mais risqueraient de déséquilibrer notre fonctionnement ou de nous mener à un échec. Ils sont là aussi pour nous rappeler d’où nous venons et ce que nous avons traversé. Je crois que c’est important. Parmi eux, nous proposerons lors de notre congrès de désigner un ou des président(s) d’honneur.

Elle accorde aussi une large place aux plus jeunes…
Il est vrai que la moyenne d’âge du conseil fédéral a diminué depuis quelques années. Et surtout, nous avons profité de la récente réforme de nos statuts pour créer, en son sein, 2 postes réservés aux kinésithérapeutes de moins de 30 ans. Pour eux, les prérequis habituels pour devenir conseiller fédéral sont allégés. Pour les autres (16 conseillers fédéraux et 2 représentants des régions), les règles demeurent : c’est la garantie que ceux qui prennent des responsabilités au niveau national ont déjà eu un parcours sur le terrain et accumulé une certaine expérience, qui leur permettront de gérer des dossiers de façon efficace et pertinente.

Une journée de débats est prévue le vendredi 16 juin. Quels en seront les temps forts ?
Elle sera construite autour de tables rondes portant sur une question ciblée et réunissant 2 ou 3 intervenants. Je crois qu’elle reflètera le rayonnement de la Fédération sur le plan institutionnel et conventionnel. Le pouvoir politique sera bien représenté avec 2 ministres le vendredi (Agnès Firmin Le Bodo et Agnès Buzyn) et un troisième le samedi (François Braun, dont l’emploi du temps ne lui permet pas de se libérer le 16 juin). Nous avons demandé à Agnès Buzyn quel regard elle porte sur notre profession, la façon dont elle s’est structurée au fil du temps et quel peut être son avenir. J’ai eu l’occasion de travailler souvent avec elle lorsqu’elle était présidente de la Haute autorité de Santé (HAS) et moi président du Collège de la masso-kinésithérapie (CMK). Nous avons gardé des liens et j’ai toujours été impressionné par sa sagesse, sa bienveillance et le respect qu’elle témoigne à tous ses interlocuteurs. Son regard est important parce qu’elle a pris de plein fouet la crise du Covid-19.

Sur le plan conventionnel, nous souhaitons profiter de cette journée pour passer en revue les temps forts de la profession, avec notamment Frédéric Van Roekeghem, ancien directeur de la Cnam, avec qui nous évoquerons les avenants 2 et 3 à notre convention, Jean-Marc Aubert, qui a notamment dirigé la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) ou encore Éric Chenut, président de la Mutualité Française. Pour évoquer le présent et l’avenir, Thomas Fatôme, actuel directeur de la Cnam, livrera son analyse de l’échec des négociations pour l’avenant 7 et nous chercherons avec lui des pistes pour relancer le dialogue conventionnel.

Sur le plan interprofessionnel, nous évoquerons le rôle de notre profession au sein du système de santé à travers des tables rondes sur l’accès direct (compétences, partages de tâches…) et les soins de proximité, dont la clé est la coordination entre les professionnels. Tous les présidents des syndicats représentatifs majoritaires seront là. Je suis heureux qu’un grand nombre d’intervenants d’envergure ait répondu favorablement à notre invitation.

Le 16 juin, nous révélerons par ailleurs les résultats d’un sondage que nous avons commandé à Harris interactive sur la perception qu’ont les Français (pas seulement les patients, donc) du kinésithérapeute.

Un livret a été rédigé et sera diffusé à l’occasion de cet anniversaire, intitulé “Une histoire, des réussites, un avenir”. Qu’est-ce qu’on y trouve ?
À qui est-il destiné ?
Il est destiné à tout le monde, nos adhérents bien sûr mais aussi nos interlocuteurs et partenaires politiques, institutionnels, professionnels de santé… Il retrace l’histoire de la profession et celle de la Fédération, qui sont intimement liées.

Une fois cet anniversaire fêté comme il se doit, comment envisagez-vous l’avenir, d’une part au sein de la FFMKR, qui tiendra son congrès annuel au lendemain de cet événement, d’autre part pour la profession ?
En interne, au-delà du renouvellement complet du conseil fédéral prévu le 17 juin, on observe une certaine stabilité depuis 3 ans, grâce à un noyau dur de personnes qui se mobilisent sans s’économiser, et font preuve de plus en plus de professionnalisme dans la gestion de leurs dossiers.

Pour ce qui concerne l’avenir de la profession, ma priorité est de rouvrir des négociations le plus tôt possible, afin de donner des moyens et de l’énergie aux kinésithérapeutes qui, depuis 20 ans, se mobilisent pour améliorer sans cesse la qualité des soins. Aujourd’hui, la vague inflationniste est si forte que si on ne fait rien, nous devrons, pour survivre, multiplier les actes, ce qui ne sera ni bénéfique pour le patient, ni valorisant pour le professionnel, ni pertinent en termes de gestion de la dépense publique. Depuis plusieurs mois, nous avons beaucoup œuvré pour la reprise des négociations et nous avons la certitude qu’elles reprendront. La question, c’est quand ? Et surtout, sur quelle base ? Le contexte économique est encore plus dégradé aujourd’hui qu’il ne l’était fin 2022.

Dans le contexte actuel de défiance à l’égard de ceux qui nous gouvernent, je voudrais rappeler l’importance du paritarisme. Si les corps intermédiaires disparaissent, la démocratie aussi. Heureusement, j’ai l’impression que certains commencent à comprendre que ce n’était pas une bonne idée de fragmenter le pouvoir des corps intermédiaires en laissant se multiplier les collectifs de toutes sortes : il est devenu impossible de discuter. Dans le monde de la santé et au sein même de notre profession, ce phénomène se traduit par l’émergence de nouvelles organisations populistes, habiles à manier les réseaux sociaux mais dépourvues d’un socle historique et des moyens nécessaires pour travailler de façon professionnelle et efficace. Tant que cela ne change pas, les négociations conventionnelles ne pourront pas se dérouler sereinement.

En pratique

Congrès anniversaire de la FFMKR, du 16 au 18 juin à Paris

- Vendredi : journée de débats politiques.
- Samedi et dimanche : congrès annuel, élections et prospective.

Rens. et inscription : Clémence Le Nair
06 01 70 76 70
c.lenair@maisondeskines.com

© D.R.

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